Effroi

 

Accueil Remonter Des racines et des lettres Partage Isthme Euclide Rives Devenir un sorbon L'ilote Ecrire A la croisée Origine L'orée Prémisses L'éclisse des origines La Trilogie des Muses Effroi

Rien ne dira jamais l'effroi de qui se donne. Les années se sont écoulées, sueur et sang séchés depuis si longtemps que ne demeurent même plus les récits répétés d'un grand-père ne réalisant même plus qu'il ennuie son petit-fils d'ainsi sempiternellement répéter ses angoisses et pertes, insaisissables pour tout autre que lui.

Je crois bien avoir aimé mon grand-père pour ses histoires de veillées qui repoussaient d'autant l'heure tant redoutée de l'endormissement. Je l'aimais pour ces moments, arrachés à l'univers des grands, qui nous étaient exclusivement réservés, même si parfois ils délaissaient la magie des contes pour l'effroi des combats guerriers. Mais qu'importe au fond, il savait raconter, et je ne suis pas sûr que l'enfant que j'étais, traçât un réel partage entre l'imaginaire des fées et la brutalité des hommes. Tout s'emmêlait dans cet interstice d'enfance où jeu, récits et apprentissage tissent insidieusement la trame d'une destinée d'adulte.

Sans doute, tiens-je de lui, la certitude que le réel ne tient que par l'impossibilité de le saisir, que la réalité ne se survit que par l'impuissance à tout dire où la vérité se joue de l'être.

Oui vraiment, je sais aujourd'hui combien la réalité toute drapée d'imaginaire, tout enrobée d'inextricables perceptions représente moins un espace où se mouvoir qu'un simple instant sitôt enfui que saisi, sitôt dépenaillé qu'interprété. J'aime le réel glisser ainsi entre les doigts acérés du concept, j'aime la pensée se dessaisissant ainsi inévitablement de sa prétention à dire le vrai.

Matinée grise de novembre, en quête des jaunes bariolés de feuillages automnaux, pour subitement me retrouver devant un monument presque oublié, commémorant la seconde bataille de le Marne en 18. Une gerbe, sans doute déposée le matin même, mais si seule, comme cette France, épuisée, pointant son regard fourbu vers cet orient d'où nul barbare ne s'extirpe plus. Soldat oublié d'un conflit qui perd ses ultimes témoins, cette France-ci ressemble au regard, lui-même embrouillé désormais, d'une époque redoutant, au nom du conflit récent, la déflagration prochaine qu'elle sut inévitable. Cette France-ci, recrue n'est plus que le point de fuite de ces fantômes, à l'arrière plan qui se soutiennent de leur hagarde vacuité, pour ne pas s'effondrer. Ces fantômes, c'est nous, nos grands-pères, et ils le sont doublement, pour n'avoir su laisser de trace, pour avoir laissé s'étioler les charmes d'un refrain que nul n'entonne plus. Leur monde s'est évanouit auquel le nôtre ne ressemble plus en rien. Et je imagine parfois ce que peut revêtir de prémonitoire cette curieuse posture d'une France qui tourne le dos à son histoire qu'elle laissa dépérir pour regarder un horizon d'où rien ne viendra plus jamais.

Ce désert est bien celui des Tartares, et la guerre si tentatrice, d'être là toujours, tapie, prompte à bondir, une promesse crépusculaire ...

Je crois les peuples s'épuiser comme les corps; peut-être notre temps est-il déjà passé sans que nous y puissions mais. S'il est une espérance, elle tient tout unie dans ces gouttes de pluie perlant à l'ourlet, où je devine que la vie jamais ne cède ni ne se peut avouer vaincue. Demain, peut-être l'ultime sursaut.

Qu'il se joue de la pensée plutôt que des armes!

à voir