Isthme

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Isthme

Ce que je sais de Roland Barthes tient en deux mots: le style et le positionnement universitaire. Figure de ce courant que l'on nomma structuralisme il y occupa cependant une posture particulière: non toujours reconnu par le système universitaire, il trouva sa place dans une institution - le Collège de France - elle-même marginale. La chose n'est pas anodine: quand on fréquente comme il le fit les chemins de traverses, ne recoupant pas nécessairement les frontières universitaires de spécialité, il est difficile d'être reconnu pour ce qu'on est: un chercheur. A cheval sur plusieurs disciplines, il maintint les frontières ouvertes. Sans doute savait-il combien c'est aux limites que les gisements sont les plus précieux. C'est sans doute autour de ces deux axes que se situe aujourd'hui la modernité de Barthes. Une façon de ne pas dessiner de frontières étanches entre les registres, les disciplines, les recherches. Barthes c'est l'homme de S/Z, furieusement intelligent mais à la lecture ardue. Mais c'est aussi l'écrivain des Fragments ou de la Chambre claire où, par petites touches, il laisse la langue unir émotion et intelligence. Ah ! « ce col Danton », « cette bonté un peu niaise des vers de Marceline Desbordes-Valmore » ! Ah ! ce « en ces temps-là, les lycées étaient des petits messieurs » du Barthes par lui-même ! Subitement la photographie se fait essai sociologique ou anthropologique ; et la photographie, essai sémiologique. J'y retrouve la même sagacité, le même sens de la formule et du détail que dans ce « il méditait comme on se sert d'une tenaille » trouvé dans le 93 de Hugo. Cette pointe acérée sonnant si juste qu'on s'étonne de ne pas l'avoir trouvée soi-même. Grâce à quoi la littérature n'est pas uniquement un passe-temps, mais un art, c'est-à-dire une rencontre. Barthes, un homme qui perce continûment sous la prodigieuse culture : sous les systèmes, derrière les polémiques ; après les engagements et les quêtes, une musique unique qui exhausse le lecteur. Derrière les structures, un humanisme sans isthme, où perce la vertu sans digue. Barthes, c'est l'homme qui trouve ce passage étroit du Nord Ouest par où la recherche universitaire, rigoureuse et inventive, rejoint la littérature ; ce passage si étroit où l'on ne se contente plus de se servir de la langue, de l'étudier, mais où on la sert. Sartre, avant lui, avait su être à la fois écrivain, dramaturge et philosophe. La force de Barthes reste de l'avoir été, en même temps, dans les mêmes ?uvres. Bergson expliquait à l'envi qu'il n'était rien de plus sinistre qu'une théorie du rire ; Sartre justifiait que le je qui énonce être triste, n'est pas triste. Barthes lui, me semble avoir réussi ce prodige d'écrire sur la langue, sans cesser jamais d'être littéraire. Cette voie étroite est à réinventer toujours. Elle est le double challenge du chercheur et de l'écrivain, de l'enseignant en lycée et de l'apprenti écrivant pour qu'enfin l'université se conjugue avec l'universel