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Les paradoxes du temps politique

Article paru dans l'édition du 02.01.07

es politiques vont de plus en plus vite, comme tout le monde. L'instantanéité leur dicte souvent sa loi, le court terme tend à devenir l'horizon commun. La pression de médias toujours plus nombreux, la généralisation des nouvelles technologies qui déversent un flot continu d'informations en temps réel sur des citoyens, eux-mêmes de moins en moins patients, contribuent à créer un sentiment d'urgence encore accentué par les facteurs propres au champ politique.

 

Depuis 1981, toutes les élections législatives, sans exception, ont débouché sur une alternance. Le quinquennat a raccourci l'horizon présidentiel. Il est en outre admis qu'un nouveau gouvernement ne dispose plus de l'assise populaire suffisante pour faire passer des réformes difficiles après un an et demi, au maximum. Ce sera le cas pour le nouvel exécutif issu des élections de 2007. Les politiques sont donc pris dans une sorte de vertige de la performance, tenaillés par le besoin d'obtenir le plus vite possible des résultats visibles, quitte à ce qu'une priorité chasse l'autre.

Or le temps nécessaire à la décision et à l'action politiques ne cesse, lui, de s'allonger. La démocratie prend du temps. Temps politique, administratif, technique... Chaque étape impose ses délais. La volonté, louable, de perfectionner en permanence la République, de prendre en compte tous les intérêts, risques et aspects des problèmes, dans une société de plus en plus complexe, fragmentée, délicate à manier, est à la source d'obligations supplémentaires, de procédures nouvelles, toutes dévoreuses de temps. A l'orée de l'été 1936, après la victoire du Front populaire, dans la foulée des accords de Matignon, signés le 7 juin, sont instaurées deux semaines de congés payés et la semaine de 40 heures. En moins de trois semaines, la loi est rédigée, votée et publiée au Journal officiel, le 26 juin.

Au printemps 1981, après la victoire de la gauche, l'accord sur la 5e semaine de congé et les 39 heures est conclu dans la nuit du 17 au 18 juillet. Il faudra six mois pour que l'ordonnance soit publiée au JO du 17 janvier 1982. Encore le gouvernement a-t-il évité, par cette procédure, une discussion parlementaire sur le fond, à la différence de son prédécesseur de 1936.

Tout, aujourd'hui, est long. L'élaboration des lois, règlements, et même de certains décrets est souvent soumise à des consultations obligatoires, soit autant de délais. Dans le champ économique et social, après la mésaventure de Dominique de Villepin pour tenter d'imposer à la hussarde le projet de CPE, l'idée que la rédaction d'un projet de loi important doit passer par une concertation préalable fait son chemin. On ne peut que se féliciter de cette promotion du dialogue social. Mais il faudra y consacrer encore un peu plus de temps.

Au demeurant, l'appétence bien française pour la loi plutôt que pour le contrat, soulignée en son temps par Michel Rocard, et aujourd'hui par Lionel Jospin ou Jacques Chirac, est elle-même l'une des sources de l'inflation législative. Cette profusion est devenue l'un des fléaux de la République, surtout avec des lois de plus en plus touffues.

Compte tenu, précisément, de l'afflux de textes qui encombrent le Parlement et créent une file d'attente, en particulier en début de législature, le parcours ordinaire d'un projet de loi prend des mois : depuis les arbitrages interministériels et le tour minutieux des circuits politico-administratifs intéressés pour le valider jusqu'à la censure éventuelle du Conseil constitutionnel, en passant par les fameuses « navettes » parlementaires. Avec parfois des bouchons supplémentaires quand l'opposition joue l'obstruction.

Après la promulgation, vient enfin le temps des décrets. Et celui-là aussi peut être très long. Souvent une loi ne vaut que par ses décrets d'application. Or c'est le lieu où se conjuguent difficultés techniques, freins administratifs et obstacles politiques. D'autant qu'à l'inverse des régimes précédents les rédacteurs de la Constitution de la Ve République, qui se méfiaient du Parlement, ont fixé dans l'article 34 la liste des domaines qui relèvent de la loi. L'article 37 précise que tout le reste est l'affaire du règlement. Conséquence : pour rattraper le terrain perdu sur l'administratif, le législateur entre dans les détails. La loi, de plus en plus lourde à manier, suppose de nombreux décrets. Dans ce contexte, plus une loi est délicate et contestée, plus les décrets peuvent tarder. La loi littoral de 1986 en fournit un exemple célèbre : l'un de ses décrets d'application est sorti en 2004 !

Enfin, la construction européenne a encore complexifié nos processus politiques. La transposition en droit national des directives de l'Union fait partie du quotidien des parlementaires et de l'exécutif. Ces textes s'inscrivent parfois dans des modes de raisonnement très différents des usages français. Outre, parfois, des réticences de fond, la perplexité de l'administration se traduit alors par des délais supplémentaires - qui sont reprochés à la France -, pour venir à bout de l'ajustement entre la lettre bruxelloise et l'esprit français.

VISIBILITÉ MÉDIATIQUE

Les élus locaux se plaignent, eux, de délais et difficultés croissants pour débloquer des aides pourtant accordées dans le principe, à cause de l'enchevêtrement des dispositifs à l'échelle régionale, nationale, européenne. Sur le plan de l'équipement du territoire, plus personne n'imagine d'implanter une infrastructure importante, telle qu'un aéroport, sans prévoir des mois de concertation avec les riverains. La loi a créé, début 1995, la Commission nationale du débat public, chargée d'organiser de longues discussions sur les projets les plus importants. Outre les délais techniques et réglementaires, des années peuvent se passer entre la conception d'un projet d'équipement et sa mise en oeuvre, si des associations, que leur cause soit juste ou non, sont assez armées pour mettre en oeuvre toutes les voies de recours.

Le choc entre la dictature du court terme dans les esprits et la réalité du temps démocratique se produit ainsi partout. Il peut être source de paralysie ou développer des effets pervers, comme la recherche d'une visibilité médiatique immédiate au détriment de l'efficacité à long terme.

En 1974, Georges Pompidou chargeait son premier ministre, Pierre Messmer, de commencer la construction de la ligne TGV Paris-Lyon. L'âge de la grande vitesse s'était ouvert dès 1955. La ligne fut inaugurée en 1981 par François Mitterrand. Aujourd'hui, il faudrait reconstruire les banlieues. Faire entrer les prisons dans le XXIe siècle. Mais, aux prises avec les contraintes d'un temps élastique, qui s'allonge et se raccourcit à la fois, la République peut-elle encore lancer des chantiers de trente ans ?

Jean-Louis Andreani