Il
n'a échappé à personne, en tout cas pas à la presse, que Sarkozy se cherche
désormais un nouveau style ! Les uns y voient la patte de la nouvelle
première dame, les autres les conséquences du désamour sondagier, les
derniers, enfin, la conclusion tirée de la séquence électorale
catastrophique des municipales.
Pourquoi pas, au fond, mais l'essentiel n'est pas là !
La presse d'abord
Aveuglement de la presse d'abord qui reste fascinée par la
question du style pour en faire ses unes de manière si répétitive que c'en
devient agaçant ! Comme si les délices étaient plus grandes de tomber dans
le piège d'une communication cachant le politique... Remarquons surtout que
la presse, incantatoire souvent, panégyriste toujours, a retourné sa veste
avec les sondages, brûlant promptement ce qu'elle avait adoré avec un
courage stupéfiant !
Peu de courage ... peu d'effort intellectuel aussi que
d'ainsi toujours préférer, de l'actualité, plutôt le côté strass et
paillettes, l'événementiel dans ce qu'il a de plus surfait, à l'analyse
politique. Et voici qu'aujourd'hui on se repaît de la mue supposée du
style élyséen ! 2
articles
Le pouvoir ensuite
Il n'est sans doute pas impossible que les
conseils en forme de remontrance de son ancien mentor firent mouche
! Venant d'un ex, d'un candidat malheureux, venant de celui qui fut par
excellence un homme de l'ombre et du conseil, de Pompidou à Chirac, et qui
paya cher de ne l'être plus, de se mettre en avant, le propos mérite qu'on
s'y arrête, avec ce petit recul qui autorise l'analyse.
Evidemment le conseil en forme de reproche suave est ad
hominem ; pourtant le publier en tribune libre ne peut être anodin. Il
vaut donc annonce ! au moins autant qu'avertissement !
Après la mention d'une nécessaire cohérence et solidarité
de l'équipe au pouvoir on repère assez vite l'appel à la
sobriété ! Il est à ce titre assez intéressant que Balladur
oppose, dans son texte,
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sincérité et sobriété, |
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rapidité et concertation |
Comment dire autrement que trop de communication tue la
communication et que, pour autant que D Reynié ait
raison en affirmant que le style présidentiel c'est plus la communication
que l'action, que trop de communication tue le politique.
Enflure, exagération, ostentation tels sont les antonymes
de sobriété : on croirait une synthèse du sarkozysme première manière !
Parce que ce texte est une lecture de droite du problème, elle est
nécessairement individuelle voire psychologisante, quand une lecture de
gauche eût été plus structurelle, plus politique; néanmoins elle traduit une
esquisse du politique d'autant plus méritoire qu'elle provient d'un homme
qui rata son entrée dans la lumière du pouvoir en même temps qu'il fut
brocardé pour son allure trop hautaine, bourgeoise et
courtisane !
Il y a dans ces remarques deux points méritant d'être
soulignés:
 |
concernant le temps du politique, spécialement de
la démocratie, dont
nous avons déjà souligné , l'exigence sinon de la lenteur, en tout cas
de la respiration. Il y a, décidément, trop de contradiction entre
l'exigence médiatique du direct, de l'instantané, du sensationnel,
et celui, politique, de la décision et, en démocratie, de la discussion,
de la délibération, de la négociation. Sans même parler du temps de
l'effet, nécessairement long quand il s'agit de politique économique,
voire sociale.
Ce qu'énonçait D Wolton dès les années 90 |
La
deuxième conséquence, cette fois-ci plus délicate pour les hommes
politiques, est la confusion de deux rythmes de la réalité de plus en plus
différents. C'est d'une part, le rythme de l'information qui s'accélère de
plus en plus avec notamment la généralisation du «direct» et, d'autre part,
le rythme de l'action politique et des transformations sociales, évidemment
plus lent. En un mot, l'information va aujourd'hui plus vite que l'action et
les hommes politiques, pris eux-mêmes dans une logique constante de
justification de leurs actions par la communication, risquent de confondre
ces deux rythmes au profit évidemment de celui des médias. Ces deux logiques
de l'information et de l'action gèrent des échelles de temps différentes.
3
En l'affaire on ne sait plus trop qui s'est fait piégé
par l'autre - il reste à craindre que ce ne soient les deux
réciproquement. L'exemple élyséen est caractéristique de cette propension
intrusive des medias à ne considérer que l'instantané et de n'avoir
finalement aucune mémoire. Or, il n'est pas de politique sans histoire.
 |
concernant la sobriété, assez comique pour
quelqu'un qui se targue de ne pas boire d'alcool. On songe à ce
qu'écrivait Barthes s'agissant du vin symbolisant si
intimement la nation française qu'il pouvait se demander si jamais
quelqu'un de sobre pût jamais représenter la France ... Et bien , c'est
fait ! Dans le fabuleux gouffre qui s'est creusé entre les français et
lui, dans le sentiment curieux qu'ils ont que leur président s'occupe
moins d'eux que de lui-même, dans cet agacement de n'être pas représenté
par ce tapage médiatique et clinquant, il y a sans doute quelque chose de
la souche qui fait défaut, où le vin moins que la terre, a sa part.
Sarkozy n'a pas la rudesse du peuple, non plus que la discrétion du grand
bourgeois: il n'a que la trépidante impatience du parvenu, l'agitation
surfaite de l'affairiste, qui semble jouer la France comme on joue à la
bourse. Sur le second marché ... du virtuel !
Il reste quelque chose de l'injonction platonicienne : le pouvoir est une
charge, une contrainte ; quand bien même tout le monde sait qu'il fait
l'objet de toutes les aspirations ambitieuses, le pouvoir est ailleurs, du
côté de la vérité et du sacré, du côté de la lumière à l'extérieur de la
caverne. Malheur à celui qui y jouit et montre sa jouissance.
Le répéter, encore et toujours, le politique participe du sacré et celui
chercherait seulement à s'y montrer sincère, commet non seulement l'erreur
suprême mais, plus radicalement, la faute politique majeure :
l'usurpation. Le prince ne peut être ordinaire, telle est finalement la
loi du genre. Ceci le général De Gaulle l'avait aisément compris qui
savait parler de lui à la troisième personne sans que ceci cessât jamais
d'être synonyme de la France !
On ne peut être à la fois dedans et dehors; celui qui ordonne et est
ordonné ! Celui qui parle et agit ! La transcendance supposait ne
serait-ce qu'une once de silence ! Sans nécessairement tomber dans la
liturgie de la retenue et de la rareté, la puissance ne se doit jamais
confondre avec l'acte.
La presse se demande s'il le pourra ou si, la nature revenant au galop, il
récidivera ! C'est-à-dire chutera! Saura-t-il être président ?
Si l'on en suit l'étymologie
il est assis devant ! Pas au-dessus, en saine démocratie, simplement
devant ! Celui qui veille et prend soin !
Gare il n'est jamais loin, ni politiquement ni sémantiquement, du
président au parasite.
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1) paru dans Le Monde daté du 23 février 2008
2008, année décisive
Nicolas Sarkozy doit garder le cap des réformes. Reste à adapter la
méthode, le rythme et le style
Nicolas Sarkozy a été accueilli avec une
grande confiance. Son mandat a eu des débuts prometteurs. Il a rapidement
décidé des réformes importantes, en matière internationale comme en matière
intérieure : l'adoption du traité européen simplifié, les mesures fiscales,
la réforme des régimes spéciaux de retraite, l'autonomie des universités, la
refonte du contrat de travail, notamment. Un grand espoir renaissait, le
président disposait dans l'opinion d'une situation forte.
En quelques semaines, alors même que le chômage reculait
dans des proportions inédites et que l'insécurité régressait, l'atmosphère a
changé, les sondages d'opinion sont devenus moins favorables, la perspective
des prochaines élections municipales plus incertaine, des doutes sont nés
sur l'ampleur et le sens de l'action nouvelle et sur ses chances de
réussite. On connaît les causes de ce reflux, inutile d'y revenir.
Nicolas Sarkozy a placé son action sous le signe de la
rupture et du changement. Il n'a certainement nulle intention de changer de
cap. Reste à adapter la méthode et le rythme. En premier lieu, un effort de
cohérence est indispensable : les membres du gouvernement doivent se montrer
plus solidaires, un terme doit être mis aux bavardages indiscrets qui
nuisent à son image, le premier ministre a la compétence et l'autorité
nécessaires pour l'imposer ; tous ceux qui ne sont ni des élus ni des
membres du gouvernement doivent s'astreindre à une plus grande réserve, ne
pas discourir de tout sans en avoir reçu mandat. Le Parlement doit être
associé plus étroitement à la décision : le vote rapide de la réforme
constitutionnelle le permettra.
Enfin, il y a ce qui est propre à Nicolas Sarkozy lui-même
: il est soucieux de franchise, de liberté, de vérité et de simplicité, il a
raison. La modernisation de nos institutions est aussi à ce prix.
Pour autant, la sincérité n'est pas exclusive d'une
certaine sobriété, la rapidité de la décision n'interdit pas la concertation
préalable. Il n'est pas non plus indispensable, pour mieux orienter les
commentaires, de créer tous les jours un événement. Nicolas Sarkozy est trop
avisé pour l'ignorer, il est perspicace et lucide, il saura infléchir son
style, tout en conservant son originalité.
retour
Quant à l'action elle-même, nulle hésitation : en 2008, il
faut accentuer les réformes, sans se préoccuper des sondages d'opinion.
L'impopularité à court terme peut être le prix à payer pour la réussite, et
encore n'est-ce pas certain, tellement les Français aspirent au changement.
Les réformes indispensables, chacun les connaît, qu'il s'agisse de l'Etat,
des institutions, de l'enseignement, de la recherche, de la protection
sociale, des retraites, du marché du travail, de l'Europe.
Des choix clairs doivent être faits pour que l'opinion
comprenne mieux l'effort indispensable. Quel est le sens de la politique
économique ? Laissons de côté le sempiternel débat sur l'offre et la
demande, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Si l'on veut faciliter le retour
de la croissance économique, ce ne peut être qu'au prix de la réduction des
dépenses publiques et non pas de leur augmentation, de la libération de
l'économie et non pas de l'accroissement du poids de l'Etat sur la société,
du refus du protectionnisme et de l'étatisme, et non pas de leur
aggravation. Le rapport Attali, dont nul ne peut réclamer qu'il soit retenu
dans son intégralité, contient de nombreuses propositions qui vont dans le
bon sens. L'intérêt du gouvernement est de les mettre en oeuvre, faute de
quoi il lui serait reproché de manquer d'esprit de suite.
Soyons lucides : l'Etat ne doit être ni omniprésent, ni
omnipotent, ni absent. Laissons de côté les critiques convenues du
libéralisme, ne tirons pas prétexte de la faiblesse de la croissance et des
préceptes faussement keynésiens pour retarder la baisse des déficits, et
persuadons-nous que seule une plus grande liberté, organisée certes mais
réelle, nous donnera une plus grande prospérité et plus de justice sociale.
Quant à l'Europe, la France assumera la présidence de
l'Union dans quelques mois. Déjà, elle s'est assigné des objectifs, ce sont
les bons. Mais la France ne réussira sa présidence que si elle est elle-même
exemplaire, c'est-à-dire si elle respecte le pacte de stabilité budgétaire,
faute de quoi toutes ses propositions sur la gouvernance économique de la
zone euro seraient privées de portée. Elle doit aussi associer à ses
propositions l'ensemble de nos partenaires, à commencer par l'Allemagne, et
pour cela dissiper toute équivoque sur la politique méditerranéenne qu'elle
entend à bon droit rénover ; celle-ci ne peut avoir pour objet de diluer
l'Union européenne dans un ensemble aux contours mal définis ; ce ne serait
pas admis, et avec raison, par nos partenaires.
En somme, il s'agit, tout en demeurant fidèle au contrat
passé avec le peuple français en 2007, de clarifier nos choix, de les rendre
plus compréhensibles. Le parcours doit demeurer le même, quitte à adapter la
cadence et à mieux éclairer la route. M. Sarkozy a les qualités nécessaires
pour y parvenir, 2008 sera une année décisive pour la réussite de son
quinquennat. Nul autre que lui ne peut conduire notre pays sur la voie du
changement. Il doit réussir, c'est l'intérêt de notre pays. Tous les moyens
sont encore dans ses mains.
Edouard Balladur
voir les deux articles que Le
Monde du 22 mars 08 consacre à ce sujet
 
2) voir
définition
3) voir D Wolton,
Us et abus des medias , Revue Autrement , 1991, n° 122, p 162-174
4) Roland Barthes in Mythologies
Le vin est senti par la nation française comme un bien qui
lui est propre, au même titre que ses trois cent soixante espèces de
fromages et sa culture. C'est une boisson-totem, correspondant au lait de la
vache hollandaise ou au thé absorbé cérémonieusement par la famille royale
anglaise. [...] Pour les travailleurs, le vin sera qualification, facilité
démiurgique de la tâche ("cœur à l'ouvrage"). Pour l'intellectuel, il aura
la fonction inverse: le "petit
vin blanc" ou le "beaujolais" de l'écrivain sont chargés de le couper du
monde trop naturel des cocktails et des boissons d'argent (les seules que le
snobisme pousse à lui offrir); le vin le délivrera des mythes, lui ôtera de
son intellectualité, l'égalera au prolétaire: par le vin, l'intellectuel
s'approche d'une virilité naturelle, et pense ainsi échapper à la
malédiction qu'un siècle et demi de romantisme continue à faire peser sur la
cérébralité pure (on sait que l'un des mythes propres à l'intellectuel
moderne, c'est l'obsession "d'en avoir") |