1974 Publicis pour la BNP |
Wall Street Septembre 2008 |
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" J'ai besoin de ma lucidité. Oui, tout est simple. Ce
sont les hommes qui compliquent les choses. Qu'on ne nous racontent pas
d'histoires. Qu'on ne nous dise pas du condamné à mort: "Il va payer sa
dette à la société", mais "On va lui couper le cou." Ça n'a l'air de rien.
Mais ça fait une petite différence. Et puis, il y a des gens qui préfèrent
regarder leur destin dans les yeux." O tempora o moresLa BNP avait en son temps défrayé la chronique avec cette publicité qui osait proclamer ce truisme qui parut alors cynique ! qui n'était que propédeutique d'une modernité dans laquelle nous feignions de ne pas vouloir entrer ! On aura tout dit et entendu sur ces folles semaines : La bourse fait du yoyoPetit jeu, passé de mode, mais revenant à la charge de temps en temps, comme le mouvement qu'il décrit : sous l'allure de la métaphore n'est-ce pas avouer incontinent, en ramenant la complexité des flux financiers à un passe-temps assez trivial, n'est-ce pas reconnaître sans oser véritablement se regarder en face, soit que tout ceci n'a rien de sérieux, soit que ces gens-là n'ont rien dé sérieux ! Même si l'on renonce à la diatribe trop aisée sur la spéculation, comment ne pas pointer la pusillanimité des opérateurs boursiers qui pérorent jusqu'à satiété quand la bourse monte, non plus que cette foi de charbonnier qui laisse entendre qu'à la chute ne pourra que succéder une remontée, cette dernière ne pouvant qu'être d'autant plus spectaculaire que celle-là fut dramatique ! Un jeu ? Je sais qu'il n'est rien de plus sérieux au monde (Nietzsche) mais il y a parfois quelque chose d'indécent à cette insouciance des grands, si peu soucieux des effets Gestion des risquesLa grande affaire des libéraux aura toujours été de justifier la richesse des possédants par le risque qu'ils prenaient à entreprendre. Et c'est encore ce que l'on lit dans la bouche de Sarkozy ! L'action étant à soi seul signe de courage et ce dernier, avec le travail RégulationQui dit règle dit morale et c'est effectivement tout le discours ambiant que de vouloir remettre de la morale où il n'en était pas, plus - où il n'en fut peut-être jamais ! Signe de la mondialisation, l'exigence naissante d'une gouvernance mondiale dont le moins que l'on puisse dire reste encore qu'elle fait défaut. Mais l'on est en régime libéral et - en dépit des cris d'orfraie poussés ici et là, l'intervention récente des états ne signifie absolument pas l'abandon des dogmes libéraux mais simplement l'extraordinaire capacité du système à revenir sur ses principes quand il l'estime nécessaire ! Le libéralisme est un pragmatisme, ne l'oublions jamais : il n'a pas le dogme de la théorie seulement celui de l'utilité ! Régulation signifiera au mieux le cache-sexe un peu honteux
de la moralité :
La crise financière Mais de quelle morale s'agit-il ? Simplement de sacrifier à l'ire publique quelques dirigeants gonflés aux golden parachutes en se débarrassant un peu trop aisément du problème sur quelques victimes émissaires d'autant plus consentantes qu'elles sont peu sympathiques ? De quelles valeurs parle-t-on lorsque l'on invoque, plus qu'on ne l'évoque d'ailleurs, l'esprit du capitalisme : Mais ce système, il faut le dire parce que c’est la
vérité, ce n’est pas l’économie de marché, ce n’est pas le capitalisme.
L’économie de marché c’est un marché régulé, le marché mis au service du
développement, au service de la société, au service de tous. Ce n’est pas la
loi de la jungle, ce n’est pas des profits exorbitants pour quelques-uns et
des sacrifices pour tous les autres. L’économie de marché c’est la
concurrence qui réduit les prix, qui élimine les rentes et qui profite à
tous les consommateurs. Outre que l'on peut s'interroger sur ce rapport à un temps long qu'évoque le Président quand on sait qu'au contraire le capitalisme se joue de la rotation de plus en plus rapide du capital et qu'il s'appuie sur un équilibre offre/demande et une main invisible du marché que l'on ne trouve nulle part ailleurs que dans les fantasmes intéressés des chevaliers d'industrie, reste à s'interroger sur cette responsabilité que l'on proclame plus qu'on ne l'établit .... Quid de la responsabilité quand inévitablement l'on s'en va socialisant les pertes alors qu'on n'aura cessé d'individualiser les gains? Quid de l'éthique, même redoublée de la morale, quand on n'aura cessé de justifier les hauts salaires des entrepreneurs tout en laissant, de fait, se dévaloriser la valeur travail en refusant, hormis pour le SMIC, toute indexation des salaires sur l'inflation ? Quid de l'engagement quand on chipote à trouver quelques millions pour financer le RSA, mais finance allègrement par milliards entassés l'effondrement des bourses? Quid de la morale quand on observe le rétrécissement drastique de l'aide aux pays pauvres, l'incapacité des grandes puissances à honorer leurs promesses sur la lutte contre la faim dans le monde ? L'économie réelleA traquer les effets à terme de la crise boursière sur l'économie réelle on se surprend à rêver : l'expression est savoureuse au moins autant que celle de bulle spéculative ! Quoi tout ceci ne serait que falbalas et faridondaines ? Ce serait pour de rire ? Trop facile ici encore de fustiger une époque qui eût perdu le Nord à coup de virtuel même si l'envie est forte de se demander nonobstant comment ce monde qui aime tant le matériel a pu si aisément le délaisser Morale ?On aimerait, ce n'est pas faux, pouvoir en revenir à des valeurs simples. Dont celle de la mesure et de la tempérance si chères à Aristote ! Mais ce dernier avait bien observé que la richesse entendue non plus comme simple possession et jouissance d'un bien mais comme accumulation de capital était sans limite ! Et il n'est effectivement pas certain du tout, comme le suggère RP Droit qu'il y ait encore quelque réponse à chercher chez Aristote : ce qu'un Grec ne pouvait pas entendre, non plus qu'un Descartes d'ailleurs, reste bien l'impuissance de la raison, et partant des systèmes rationnels, à endiguer ce flot-ci, même si l'on augura depuis l'origine la puissance des passions; ce qu'un Kant ne pouvait envisager c'est effectivement ce serait de la rationalité elle-même poussée jusqu'à ses extrêmes limites que proviendrait la crise, et sa capacité à se nourrir d'elle-même ! Autant dire que même une critique de nos facultés de jugement ne serait plus même nécessaire; encore moins efficace !
Le capital est du travail mort, qui ne s'anime qu'en suçant tel un vampire du travail vivant, et qui est d'autant plus vivant qu'il en suce davantage. Marx, Le Capital, § VIII |
1) Sarkozy, Discours de Toulon, 29/09/08 . on peut lire ici la totalité de ce discours
voir le dossier du Magazine Littéraire de ce mois-ci (Octobre 2008)